We've Been Here Before
13 titres, 46:05
Six ans de silence. Six ans pour que les Aixois de Chinese Man digèrent leur propre légende, celle qui depuis 2004 les a érigés en parrains du trip-hop hexagonal. We’ve Been Here Before n’est pas un retour – c’est une révolution circulaire, un ouroboros musical où la fin rejoint le commencement avec une maîtrise confondante.
Architecture sonore : le grand écart maîtrisé
L’album s’ouvre sur Salune, collision sidérale entre orchestre symphonique et beats hip-hop massifs, sublimée par la voix de René Barjavel commentant Apollo 8. Coup de génie : transformer un document d’archive en manifeste poétique sur notre rapport au cosmos. Cette audace programmatique annonce la couleur – Chinese Man refuse la facilité du revival nostalgique pour embrasser une complexité kaléidoscopique.
Le titre éponyme déploie une guitare flamenca lancinante, territoire inexploré où Miscellaneous et Stogie T tissent une réflexion acide sur la routine moderne. L’alliance entre la mélancolie andalouse et le flow tanzanien ? Improbable sur papier, évidente à l’écoute.
Babel musicale : l’art du métissage radical
¡Que Sí! propulse l’auditeur en pleine cumbia psychédélique – Chinese Man transforme ce folklore colombien en transe électronique contemporaine. Plus loin, Trouble convoque Stylo G pour une fusion reggae-didgeridoo qui pulvérise les frontières géographiques. Le collectif marseillais ne sample pas le monde : il le digère, le recrache transfiguré.
General Elektriks apporte sur Cycle une respiration éthérée bienvenue, flûte traversière et nappes ambient créant un havre de paix au cœur du chaos créatif. Cette alternance entre tension et relâchement structure l’album avec une intelligence dramaturgique rare dans le genre.
Le hip-hop comme langue universelle
The Code et Sacre Bleu rappellent les fondamentaux : Chinese Man reste viscéralement hip-hop. Mais quel hip-hop ! Polyglotte, métissé, où ASM, Youthstar, KT Gorique et Miscellaneous transforment le cypher en assemblée constituante d’une nouvelle internationale musicale. Le flow devient vecteur d’unité dans la diversité – utopie réalisée.
L’orchestration du vide
Les interludes instrumentaux – Déjà Vu façon Joe Hisaishi, Where I Go aux accents siroco, No One Left en apesanteur M83 – ne sont pas des respirations mais des propositions esthétiques autonomes. Chinese Man maîtrise l’art japonais du ma, cet espace-temps suspendu où le silence devient éloquent.
Circularité cosmique
Lune referme la boucle ouverte par Salune, handpan et erhu tissant une toile orientale sur fond orchestral. Barjavel revient conclure son homélie spatiale. Le message ? Nous sommes prisonniers de cycles, mais Chinese Man transforme cette répétition en spirale ascendante.
Verdict : l’album-monde
We’ve Been Here Before transcende le simple comeback. C’est une cartographie sonore de notre époque mondialisée, où Marseille dialogue avec Dar es Salaam, où le classique européen fusionne avec le dub jamaïcain, où l’électronique devient le ciment universel.
Chinese Man ne fait pas du world music – terme condescendant s’il en est. Ils créent une musique-monde, sans exotisme de pacotille ni appropriation culturelle, dans un respect mutuel des traditions qu’ils hybrident. Leur force ? Comprendre que le groove est la dernière lingua franca de l’humanité.
Cet album confirme une évidence : Chinese Man n’imite plus personne, pas même Chinese Man. Ils ont atteint cette maturité artistique où l’identité devient fluide, où les influences se métabolisent instantanément. We’ve Been Here Before ? Mensonge éhonté. Nous n’avions jamais été là.
Un chef-d’œuvre de syncrétisme musical qui redéfinit les contours du trip-hop contemporain. Indispensable.