Parasomnia
8 titres, 1:11:16
Seize ans. C’est le temps qu’il aura fallu pour que Mike Portnoy revienne dans le groupe qu’il a cofondé en 1985. Depuis Black Clouds & Silver Linings (2009), dernier album avec la formation classique et leur plus haut classement dans les charts, Dream Theater a continué sans lui - cinq albums avec Mike Mangini, un Grammy pour “The Alien”, des tournées mondiales. Mais l’annonce du départ de Mangini en octobre 2023, simultanée au retour de Portnoy, a provoqué un séisme d’enthousiasme dans la communauté prog. Parasomnia, sorti le 7 février 2025 via InsideOut Music, marque donc les retrouvailles de la formation originelle : James LaBrie (chant), John Petrucci (guitare), John Myung (basse), Jordan Rudess (claviers) et Portnoy à la batterie.
Le verdict ? Ils n’ont rien perdu. Mieux : ils reviennent avec une énergie renouvelée.
Un concept onirique maîtrisé
Parasomnia s’articule autour des troubles du sommeil - ces expériences indésirables vécues pendant le repos. Huit morceaux, 71 minutes de metal progressif qui oscillent délibérément entre rêves doux et cauchemars. “Notre nom est littéralement un théâtre qui joue pendant que vous rêvez”, explique le groupe, presque étonné de n’avoir pas exploité ce concept plus tôt.
La thématique fonctionne remarquablement bien. “Night Terror” capture parfaitement l’angoisse des terreurs nocturnes dans son exécution frénétique et ses ruptures de rythme. “A Broken Man” explore le stress psychologique avec une profondeur émotionnelle rare. Le concept permet au groupe d’alterner entre passages apaisants et déflagrations métalliques avec une cohérence narrative bienvenue.
Une entrée fracassante
L’album s’ouvre sur “In the Arms of Morpheus”, instrumental qui déploie dans ses premières minutes des guitares mélodiques et des roulements de batterie massifs évoquant Genesis version mid-70s, avant d’accélérer à vitesse metal. Puis arrive un riff djent absolument gnarly - quelque chose qu’on attendrait d’un groupe de deathcore moderne mais saupoudré de cette signature Dream Theater immédiatement reconnaissable. C’est une déclaration d’intention : seize ans plus tard, ils ont toujours ce qu’il faut pour mener la charge.
À mi-parcours, les mélodies triomphantes familières reprennent le contrôle, mais le message est passé. La porte a été enfoncée, maintenant place à la démonstration.
Le virtuosisme réinventé
“Night Terror” (près de 10 minutes) représente presque parfaitement tout ce que Dream Theater incarne : riffs mémorables et accrocheurs, signatures rythmiques non-orthodoxes, transitions inattendues qui maintiennent l’attention sans jamais partir trop loin. Les solos de guitare dévastateurs de Petrucci s’enchaînent, chaque membre tire à pleine puissance, marchant en parfaite synchronisation du début à la fin.
Le musicianship sur cet album est absolument stellaire. Portnoy retrouve ses roulements jazzy sur ses toms aigus caractéristiques, apportant ces fills savoureux qui définissent son style. Mais la vraie révélation, c’est Jordan Rudess complètement déchaîné. Le claviériste bénéficie de solos malades sur pratiquement chaque morceau, avec un exemple notable lors du solo de piano presque honky-tonk totalement inattendu sur l’épique finale de 19 minutes “The Shadow Man Incident”. Ce moment surgit de nulle part et arrache instantanément un large sourire.
La variété au service de l’émotion
Chaque morceau possède sa propre personnalité distincte. “Midnight Messiah” assume une vibe années 80 un peu kitsch mais absolument efficace - les paroles peuvent parfois pencher vers le superficiel (“Eyes open wide, but I can’t see”), mais la musique prend rarement des routes simples. “Bend the Clock” vers la fin offre une pause bienvenue, une pseudo-ballade contemplative qui permet de respirer entre les morceaux plus denses.
L’album atteint un équilibre délicieusement satisfaisant : suffisamment lourd pour être digeste par l’audience moderne, mais toujours profondément ancré dans ces mélodies épiques et pensives et ces grooves jazzy stop-and-go que les fans hardcore espèrent.
Les retrouvailles qui comptent
La pause de seize ans ne révèle pratiquement aucune toile d’araignée. La chimie entre Portnoy et ses anciens complices est intacte, comme s’ils ne s’étaient jamais quittés. C’est accessible, technique quand nécessaire mais jamais excessivement, offrant quelque chose pour tout le monde tout en donnant matière à décortiquer pour les nerds de théorie musicale.
Ce n’est pas juste du excellent metal progressif - c’est de l’excellente musique, point. Quiconque apprécie la musique sous quelque forme trouvera forcément quelque chose à aimer dans cet album. Si une personne lambda essayait de s’asseoir pour le jouer, ses doigts exploseraient probablement, mais ce n’est pas épuisant à écouter pour autant. Bien au contraire : c’est amusant, énergisant.
Les petites imperfections
Soyons honnêtes : quelques défauts subsistent. John Myung à la basse reste trop discret - on l’entend suivre et renforcer certains riffs, mais on aurait aimé le voir plus libéré, déchaîné comme par le passé. Le gars est un animal absolu, il mérite d’être lâché en liberté (à noter que pour l’avoir vu en live, il envoie du lourd).
La voix de James LaBrie divisera toujours. Son timbre nasal ne conviendra pas à toutes les oreilles, même si son contrôle respiratoire est excellent et qu’il atteint des notes massives impressionnantes sur “A Broken Man” et lors du crescendo de “The Shadow Man Incident”. Pour les fans, c’est exactement ce qu’ils aiment. Pour les autres, ça reste un acquis taste.
Verdict : La machine Dream Theater tourne à plein régime
Parasomnia est plein de vigueur renouvelée, reflétant l’excitation palpable de leur fanbase dévouée. Dream Theater n’est jamais parti, mais paradoxalement, on a l’impression qu’ils sont de retour. Les attentes étaient astronomiques - lorsqu’on passe 35 ans à établir un gold standard, c’est inévitable. Mais remplir ces attentes n’en est pas moins satisfaisant pour autant.
Cet album confirme ce qu’on savait déjà : Dream Theater reste au sommet du panthéon du metal progressif. Avec leur formation iconique réunie, ils prouvent qu’ils peuvent non seulement rivaliser avec leurs contemporains, mais continuer à mener la danse.
Un album de retrouvailles triomphales qui annonce, on l’espère, de nombreuses autres grandes choses à venir. En attendant, Dream Theater célèbre Parasomnia et leur 40e anniversaire avec une tournée nord-américaine extensive. L’aventure continue, et elle n’a jamais sonné aussi bien.