Skeletá

Ghost

10 titres, 46:49


Tobias Forge avait déjà l’album suivant cartographié en janvier 2022, deux mois avant même qu’Impera ne sorte. Voilà qui résume assez bien la machine Ghost : calculée, prévisible, industrialisée. Skeletá, sixième album studio sorti le 25 avril 2025 via Loma Vista Recordings, arrive avec son lot d’attentes démesurées. Premier album du groupe à atteindre la première place du Billboard 200, décrit comme leur “œuvre la plus introspective à ce jour”, enregistré sous le nouvel alias Papa V Perpetua.

Le problème ? Sous le maquillage théâtral et les costumes somptueux, il ne reste qu’un squelette vidé de sa substance.

L’introspection comme stratégie marketing

Ghost a toujours excellé dans l’art de transformer des préoccupations séculaires - pestes, empires, démons - en commentaires contemporains. En 2025, avec Trump de retour à la présidence et les relations internationales plus fragiles que jamais, Skeletá semble tomber à pic. Sauf que cette pertinence apparente masque mal le vide conceptuel.

“Satanized” ouvre le bal avec son glam-meets-goth assumé, Forge chantant une possession démoniaque qui pourrait tout aussi bien parler des maux du monde. La subtilité n’a jamais été la marque de fabrique de Ghost - ce qui fonctionnait sur Opus Eponymous en 2010, quand le groupe était encore excitant, sonne désormais comme du recyclage automatique.

Les années 80 comme béquille stylistique

L’album s’ouvre sur “Peacefield” : chœurs célestes, montée vers une gloire arena-rock années 80 pendant cinq minutes et plus. Les synthés poignardants, les solos de guitare perçants, les voix stratosphériques - tout vient de l’ère des gros hooks et des cheveux encore plus gros. “Missilia Amori” et ses “love rockets” enfoncent le clou.

“Lachryma” déploie un refrain anthémique à la Def Leppard, scintillant d’harmonies superposées. “Cenotaph” livre une énergie bondissante et infectieuse, ses riffs joueurs et son rythme galopant apportant un moment de légèreté. “Marks Of The Evil One” chevauche une ligne de basse gluante, indéniable.

C’est techniquement impeccable. C’est aussi terriblement creux.

L’absence de mystique

Comme le fait remarquer Slant Magazine, il y a peu ou pas de mystique dans ces histoires de crises spirituelles. Ghost n’a jamais vraiment été un groupe metal - du moins pas soniquement. La lourdeur a toujours été implicite plutôt qu’explicite, drapée dans l’esthétique du sombre et de l’occulte plutôt que dans l’assaut sonore.

Sur Skeletá, le groupe penche encore plus vers les influences AOR polies de la fin des années 70 qui rôdaient à leurs frontières depuis le début. “Guiding Lights” flotte sur un lit de notes acoustiques et d’atmosphères mélancoliques, sa grandeur retenue permettant à la mélodie de briller. “Umbra” suit avec un refrain à lever le poing et des claviers labyrinthiques rappelant Deep Purple à leur plus progressif.

Mais contrairement aux albums Ghost précédents, où accessibilité et accrochabilité servaient de tapis de bienvenue, Skeletá n’est pas calibré pour élargir la base de fans. Il n’y a pas de tubes immédiats, pas d’entrées faciles. Pas de “Rats”, pas de “Square Hammer”, pas d’hymne instantané pour les fidèles.

Le théâtre sombre d’une dissolution

La vraie question : est-ce un choix artistique audacieux ou l’aveu d’impuissance créative ? Les cyniques accuseront Forge de complaisance - et ils n’auront pas complètement tort. Skeletá baigne dans sa propre sophistication morose, exigeant de la patience, révélant ses charmes séducteurs sur plusieurs écoutes.

C’est Ghost libéré des attentes, affirment les défenseurs. Tobias Forge n’a plus rien à prouver, il fait exactement ce qu’il veut. Les fidèles suivront sans doute. Le reste restera perplexe, se demandant s’ils ont raté quelque chose ou si Ghost a finalement dépassé leur portée.

La vérité est plus prosaïque : comme le nouveau persona scénique de Forge, Skeletá n’est qu’une simple dilution de ce qui existait avant. Un squelette de ce que Ghost était il y a quinze ans.

Les ballades power, encore et toujours

Les power ballades, déjà prévalentes sur Impera, restent un intérêt croissant pour Forge. Le closer “Excelsis” offre une ballade sobre où Forge médite sur la mortalité dans sa forme la plus élégante. C’est Ghost à leur plus direct et, osons le dire, leur plus doux.

Mais cette douceur sonne comme une capitulation. Là où Opus Eponymous était un classique metal moderne malgré ses imperfections, là où les premiers albums conservaient une part de danger et d’imprévisibilité, Skeletá se contente d’être un album de hard rock années 80 bien produit par un groupe costumé.

Verdict : La coquille vide d’un empire

Skeletá est ultimement une entreprise vide. Forge peut rester engagé avec le matériel, mais fidèle à son nom, Ghost en tant que groupe n’est plus qu’une coquille du groupe de metal progressif qu’il était il y a quinze ans.

Produit par Forge lui-même sous l’alias “Gene Walker”, mixé par les légendes Andy Wallace et Dan Malsch, l’album bénéficie d’une production impeccable. Mais aucun vernis technique ne peut masquer l’essoufflement créatif.

La campagne ne fait aucun effort pour combler le fossé avec la communauté metal, leur fanbase la plus bruyante. L’album penche résolument vers le stadium rock, totalement engagé dans l’ultime spectacle. Mais le spectacle ne suffit plus quand il ne reste que du théâtre sans substance.

Ghost a construit un culte mondial depuis les années 2000, amassant une liturgie de fans. Skeletá les récompense avec un album qui demande de la foi aveugle plutôt que de gagner leur admiration. C’est un album indulgent, immergé dans sa propre grandiloquence, qui confond profondeur et opacité.

Comme Forge médite sur la mortalité dans “Excelsis” : tout le monde s’en va, toi aussi, moi aussi. Peut-être est-il temps pour Ghost de reconnaître que leur meilleure période est déjà partie.

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