Sur leurs cendres
11 titres, 34:14
“C’est un peu une volonté de dire qu’il faut tout brûler… Et dansons sur leurs cendres.” Voilà comment le quintet parisien Ménades résume l’esprit de leur premier album, sorti le 28 février 2025 via Le Cèpe Records. Cinq ans après leur formation, après avoir écumé les scènes de France et d’Europe, après des EPs remarqués (Par Terre, Cramée), Eva Bottega (chant), Dauphin Gallo (guitare rythmique), Max Rezai (guitare lead), Ambre Tholance (basse) et François Couac ( batterie) livrent enfin leur statement complet. Onze titres, quarante minutes de post-punk incendiaire porté par une énergie brute et une sincérité désarmante.
Sur leurs cendres tient toutes ses promesses : chaotique, libre, furieux, flamboyant, racé. C’est un album à dévorer.
L’héritage riot grrrl réinventé
Dès “La Lune”, morceau d’ouverture psychédélique, le ton est donné. Textures qui s’entremêlent, atmosphère entre psyché et thriller, groove frémissant. Eva Bottega ondule dans un chant en français plutôt délié avant que le groupe ne s’emballe - et nous avec. Belle entrée qui rappelle immédiatement que Ménades ne recule devant aucune inspiration pour faire de cet album une œuvre marquante.
“Good Partner” dégorge ensuite une partie enflammée au chant de femme mutin, critiquant avec beaucoup d’ironie l' objectivisation de la femme parfaite pour son mari. C’est dans ce rock acide mordant que le groupe s’éclate vraiment, mémorable pour sa mélodie et son tranchant. Un parfum riot grrrl s’échappe, tenace.
“Hammer” n’est pas en reste avec son refrain efficace et sa colère d’abord retenue puis passionnée et éraillée. Ce ne sera pas la dernière fois que Ménades se laissera prendre par cette émotion forte - “Une Balle de Plus” l’invoque à nouveau, violent, cathartique, éclatant. L’urgence du titre imite la rage libératrice de “Hammer”, dans un nerf décisif.
La danse avec les spectres
“Angels Drive Fast”, riffeur, sème un rock venimeux que ses phases douces atténuent. Le morceau mélange mystère, angoisse et douleur, invoquant des formes spectrales sans résoudre entièrement l’énigme de leur identité. Cette capacité à maintenir l’ambiguïté, à ne pas tout révéler, fait partie du charme magnétique de Ménades.
La track titre “Sur leurs cendres” arrive comme un hymne post-punk auquel il est difficile de résister. Saccadé, aiguisé, le groupe assure ses arrières quelle que soit la langue usée. Les chants s’associent avec prestance stylistique. C’est un morceau qui résume à merveille l’univers du groupe - autant dans ses paroles impertinentes que fortes, que dans son énergie audacieuse et brutale.
Le sexy et le sombre
“Lonesome Cowgirl Dance” - probablement le titre le plus marquant de l’album - mène carrément la danse. Post-punk proche du funky, le morceau convainc sans coup férir. Il y a quelque chose de sexy dans cette construction, un groove irrésistible qui fait bouger les corps autant que les esprits. Ménades continue de nous emmener dans des lieux sombres et vibrants, mais cette fois avec un swing que personne n’attendait.
Puis le groupe ose ralentir - un tout petit peu. “Smile” a beau avoir de belles lumières, c’est un titre qui possède une aura glaçante. Les motifs de synthé convoqués créent une atmosphère où la douceur apparente cache quelque chose de plus inquiétant. Comme le reste, ça fait son effet.
La reine de la rue
“La Reine du Trottoir” résume l’univers du groupe à merveille. Appuyé, paré de fougue, c’est pour moi le morceau qui capture le mieux ce que Ménades a à dire. Les paroles aussi impertinentes que fortes, l’énergie audacieuse et brutale - tout y est. De prestance stylistique, le titre plaide pour la différence que fait Ménades sur la scène post-punk hexagonale.
“Reckless” suit et offre le vrai ralentissement de l’album. Plus calme, plus folk, plus doux, mélodieux et sensitif, le groupe se montre capable de plus que de la furie. Cette nuance prouve que Ménades a fait du chemin depuis ses débuts. Le quintette maîtrise désormais les contrastes, dépose sa marque avec assurance.
Une conclusion à cœur ouvert
“City Cries” propose le mélange de tout ça : émotionnel, vif, contrasté et toujours un peu furieux. Entre douceur et élan racé, c’est une conclusion presque crève-cœur qui parachève un ensemble qu’aucun creux ne vient entacher. Le morceau final ne fait que confirmer ce qu’on sait déjà : Ménades a quelque chose à dire, et ils savent comment le dire.
Mystérieux en français, décapants en anglais
Cette alternance linguistique fait partie de l’identité Ménades. Mystérieux en français, décapants en anglais - et inversement. Le groupe joue avec les codes, avec les attentes, avec les langues elles-mêmes. Eva Bottega déploie une présence vocale puissante, capable de passer de la sensualité murmurée à la rage pure en quelques mesures.
On pense parfois à PJ Harvey, Savages, ou même aux échos bruts de The Kills, mais Ménades forge ici sa propre voix, incandescente et nécessaire. Dans leurs influences, le groupe cite Amyl and The Sniffers, Viagra Boys ou encore Idles, en accord avec l’énergie punk qui se dégage de leur musique. Mais Sur leurs cendres transcende ces références pour créer quelque chose de singulier.
La production au service de l’urgence
Le son capturé sur Sur leurs cendres est grand, presque funky dans sa section rythmique, porté par des guitares inquiètes et des vocalises puissantes. François Couac à la batterie et Ambre Tholance à la basse forment une base solide qui permet aux guitaristes Max Rezai et Dauphin Gallo de partir dans toutes les directions - du riff venimeux aux textures atmosphériques.
La production ne lisse rien, ne polit pas les aspérités. Elle capture l’énergie viscérale et percutante qui a fait la réputation live du groupe. Quand on sait que leur concert de release party au Point Éphémère était sold-out et que personne n’en est sorti indemne, on comprend que cette urgence devait absolument transparaître sur disque.
Le futur pilier du rock hexagonal
Fraîchement sélectionnés parmi les Inouïs du Printemps de Bourges 2025, avec une récente tournée américaine derrière eux et une ascension remarquable depuis leur EP Par Terre, Ménades s’impose de plus en plus comme un futur pilier de la scène rock hexagonale. Sur leurs cendres est la preuve qu’ils méritent cette position.
Le groupe est en train de tracer sa route, bien au-delà des cendres. Avec cet album plein de mythes et de sincérité, Ménades se révèle comme un groupe à ne pas manquer sur la scène post-punk - française, européenne, mondiale. L’énergie rock’n’roll reste présente et viendra tout embraser sur son passage.
Verdict : Ménades a allumé le feu
Sur leurs cendres remplit le contrat avec brio. C’est un premier album qui sait où il va, assumé dans ses contrastes, fort dans ses convictions. Les bonnes phases se suivent dans un nerf décisif, les honneurs sont en vue. Nul besoin de plus, la différence est faite et pour Ménades elle plaide.
Peut-être pouvons-nous céder à l’emphase : avec cet album, Ménades a allumé le feu. Et on a très peu de soucis à se faire pour la trajectoire du quintet. Dans un paysage rock français qui cherche souvent ses repères, Ménades sait exactement qui ils sont et où ils vont. Droit devant, dans les flammes, en dansant sur les cendres de ce qui n’avait plus lieu d’être.
Un album à dévorer, une promesse de feu tenue. Ménades arrive avec la rage au ventre et le groove dans les jambes - combinaison rare, explosive, nécessaire.