Carnal
15 titres, 45:57
Trois nominations aux Grammy Awards. Sept singles dans le Top 10 des radios rock actives américaines. Vingt ans de carrière ponctuée de galères et de percées miraculeuses. Nothing More, quatuor de San Antonio, Texas, revient avec Carnal, huitième album studio sorti le 28 juin 2024 via Better Noise Records. Quinze pistes, quarante-cinq minutes de hard rock alternatif musclé enrichi de philosophie introspective et d’hymnes massifs assumés. Et cette fois, tout s’aligne magistralement.
L’aboutissement d’une longue marche
L’histoire de Nothing More incarne la persévérance. Formés en 2003, ils ont passé la majeure partie des années 2000 à enregistrer des albums indépendants et à lutter pour se maintenir à flot. En 2009, sur leur troisième album, le batteur Jonny Hawkins devient chanteur principal - décision cruciale qui définira leur identité. Le suivant, comme les trois précédents, sort en auto-production. Puis arrive enfin la percée en 2014 avec une distribution plus large via Eleven Seven Music (devenue Better Noise). Depuis, le succès radiophonique s’accumule.
Carnal arrive deux ans après le divisif Spirits (2022), album éthéré explorant la nature de l’âme et les questions existentielles. Cette fois, le groupe plonge dans les aspects plus sombres et primordiaux du caractère humain - d’où le titre sans ambiguïté. Et contrairement à son prédécesseur, Carnal trouve l’équilibre parfait entre introspection philosophique et puissance sonore brute.
Les interludes d’Alan Watts : un fil narratif essentiel
Quinze morceaux dont cinq interludes - “Carnal”, “Head”, “Heart”, “Sight” et “Sound” - où résonne la voix du philosophe britannique Alan Watts, motif récurrent chez Nothing More. Ces moments de réflexion sur la vie, la conscience et l’univers structurent l’album comme les chapitres d’un livre. Loin d’être du remplissage, ils ancrent les morceaux dans une dimension conceptuelle qui élève l’ensemble.
Nothing More a toujours fusionné la profondeur philosophique avec le hard rock agressif. Sur Carnal, cette fusion atteint sa forme la plus aboutie. Les méditations de Watts sur la nature animale de l’humanité, nos instincts primordiaux et notre place dans l’univers résonnent parfaitement avec la rage contrôlée des morceaux qui les entourent.
Une déflagration sonore maîtrisée
“HOUSE DIVIDED” ouvre l’album comme un uppercut : riffs massifs, batterie tonnante de Ben Anderson, basse rugissante de Daniel Oliver, et la voix de Hawkins qui oscille entre mélodie accrocheuse et hurlement primal. Le guitariste Mark Vollelunga déploie des textures sonores aussi variées qu’inventives, du metal progressif à l’alternatif moderne.
“ANGEL SONG” illustre parfaitement la capacité du groupe à créer des hymnes radiophoniques sans sacrifier leur tranchant. Le refrain explose avec une puissance cathartique, soutenu par une production cristalline signée Will Putney (producteur de légende ayant travaillé avec Thy Art Is Murder, Knocked Loose). La construction dynamique rappelle les meilleurs moments de Breaking Benjamin ou Shinedown, mais avec une intensité supplémentaire.
“IF IT DOESN’T HURT” fusionne agressivité et vulnérabilité émotionnelle. Hawkins livre une performance vocale déchirante, passant de murmures fragiles à des cris désespérés. Les paroles explorent la douleur comme preuve de notre humanité - thématique centrale de Carnal. La section intermédiaire explose en un chaos contrôlé avant de retomber dans une résolution mélancolique.
La dualité comme force créatrice
“TURN IT UP LIKE (Stand In The Fire)” incarne l’énergie pure. Riff d’introduction instantanément mémorable, beat implacable, refrain fait pour être hurlé en concert. Nothing More excelle dans ces morceaux qui marchent sur la ligne entre accessibilité mainstream et lourdeur authentique. Pas de compromis - juste une maîtrise totale de leur formule.
“LONELY” révèle leur côté le plus introspectif. Guitare acoustique, cordes subtiles, la voix de Hawkins déployant toute sa tessiture. Le morceau construit lentement vers un crescendo émotionnel dévastateur. C’est du rock alternatif moderne à son apogée - assez accessible pour passer en radio, assez substantiel pour résister à l’épreuve du temps.
“STUCK” accélère le tempo avec une urgence frénétique. Les paroles sur le sentiment d’être piégé dans ses propres patterns résonnent universellement, tandis que la musique crée cette claustrophobie sonore qui se libère explosionnent dans le refrain. Anderson derrière les fûts livre une performance particulièrement impressionnante, alternant entre grooves lourds et fills complexes.
Les expérimentations payantes
“BREAK THE CYCLE” pousse l’expérimentation plus loin. Éléments électroniques, samples industriels, structure non-conventionnelle - Nothing More prouve qu’ils peuvent sortir de leur zone de confort sans perdre leur identité. Le pont où tout se décompose avant de se reconstruire est un moment de pure génie compositional.
“HILARY” surprend avec son approche quasi-funk sur les couplets avant d’exploser en un refrain massif. Cette capacité à juxtaposer des éléments apparemment contradictoires sans que ça sonne décousu témoigne d’une maturité d’écriture rare.
La track titre “CARNAL” (le morceau, pas l’interlude) résume tout ce que fait le groupe : lourdeur viscérale, mélodies accrocheuses, profondeur lyrique, production impeccable. C’est Nothing More distillé en quatre minutes de perfection. Le solo de Vollelunga est particulièrement mémorable, alliant technique et émotion sans tomber dans la masturbation instrumentale.
Une production au service de la vision
Will Putney a capturé Nothing More dans toute leur puissance. Chaque instrument respire, la voix de Hawkins occupe l’espace parfait, les moments lourds écrasent sans devenir boueux, les passages délicats conservent leur intimité. Le mastering permet à l’album d’exploser dans les enceintes sans fatigue auditive.
Les arrangements révèlent de nouveaux détails à chaque écoute. Des couches de guitares subtiles, des effets électroniques discrets, des harmonies vocales cachées - Carnal récompense l’attention et la redécouverte répétée.
La thématique qui unit
Carnal explore notre nature animale, nos instincts primaires, cette part de nous qui reste sauvage malgré la civilisation. Hawkins et son groupe n’offrent pas de réponses faciles - ils posent des questions dérangeantes sur ce que signifie être humain en 2024. La violence, le désir, la peur, la rage - tout est là, examiné sans jugement.
Cette honnêteté brutale distingue Nothing More de tant de groupes de rock alternatif contemporains qui édulcorent leur message pour plaire. Carnal ne cherche pas à plaire - il cherche à être vrai. Et cette authenticité résonne puissamment.
Verdict : Un album essentiel du rock moderne
Carnal représente Nothing More à leur apogée créative. Vingt ans de persévérance, d’expérimentations, de succès et d’échecs ont mené à cet album qui capture parfaitement l’essence du groupe tout en repoussant leurs limites.
C’est accessible sans être commercial, lourd sans être unidimensionnel, intellectuel sans être prétentieux, émotionnel sans être mélodramatique. Chaque morceau a sa raison d’être, chaque interlude enrichit l’expérience globale, chaque choix de production sert la vision artistique.
Pour les fans de Breaking Benjamin, Shinedown ou Starset cherchant quelque chose avec plus de substance. Pour les amateurs de metal progressif voulant des mélodies mémorables. Pour quiconque croit que le rock moderne peut encore surprendre et émouvoir.
Carnal n’est pas parfait - quelques moments auraient pu être resserrés, certaines expérimentations auraient pu être poussées plus loin. Mais ces micro-imperfections ne font que souligner l’ambition remarquable du projet. Nothing More a créé un album qui défie les attentes tout en livrant exactement ce que leurs fans espéraient.
Vingt ans après leur formation, Nothing More prouve qu’ils ont encore énormément à dire - et la force brutale pour le dire. Carnal est un statement : le rock alternatif américain est vivant, dangereux et essentiel. Il lui fallait juste quelqu’un d’assez courageux pour le prouver.